Crédits carbone en agriculture : quelle rémunération en perspective ?
Émettrice de Gaz à effet de serres (GES), dioxyde de carbone (CO2), protoxyde d’azote (N2O) et méthane (CH4) principalement, l’agriculture est aussi capable d’en séquestrer dans ses sols. Pour encourager les agriculteurs à réduire leurs émissions de GES et à augmenter leur stockage, un système de rémunération à la tonne d’équivalent CO2 évitée se met en place. Il s’agit d’un marché volontaire du carbone, différent du système réglementé des échanges de quotas, qui concerne les secteurs industriels.
Quel est le principe des « Crédits carbone » en agriculture ?
Un agriculteur s’engage volontairement, sur 5 ans, à mettre en œuvre sur son exploitation un plan d’actions, ensemble de pratiques pour réduire ses émissions de GES ou en stocker davantage. Un bilan carbone est fait au début de son engagement, puis à la fin. La différence se calcule en tonnes d’équivalent CO2 évitées, pour lesquelles il reçoit un paiement. Cet argent ne provient pas de l’État mais d’acteurs privés ou publics qui souhaitent apporter leur contribution à l’effort collectif de neutralité carbone ou compenser leurs propres émissions de GES.
Quels types d’actions peuvent-être mises en œuvre ?
Les actions pour réduire les émissions et augmenter le stockage des GES sont différentes d’un secteur agricole à l’autre. Cela peut aller de l’optimisation de l’alimentation du troupeau laitier, à la plantation de haies, en passant par introduction de légumineuses dans la rotation. D’une manière générale, elles tournent souvent autour de la couverture des sols et de leur préservation (non-labour).
Les méthodes qui recensent l’ensemble des leviers mobilisables pour un secteur agricole donné doivent avoir été validées : définies par des experts (des organismes de recherche, des chambres d’agriculture, des instituts techniques…), elles sont ensuite labellisées « bas carbone » par le ministère de la Transition écologique. A ce jour, quatre méthodologies ont obtenu ce label officiel : la méthode Carbon Agri, pour les exploitations en polyculture-élevage bovin ; la méthode « replantation de haies » ; la méthode « plantations de vergers » et la méthode « grandes cultures ». D’autres méthodes sont en cours d’examen par le ministère de la Transition écologique ; elles concernent notamment la viticulture, la production porcine ou encore la méthanisation.
Est-ce une « usine à gaz » ?
Peut-être ! Car les intervenants sur la chaîne qui va de l’acheteur à l’agriculteur peuvent être nombreux : d’abord, un opérateur, qui va assurer l’intermédiation avec les acheteurs et toute la partie administrative de l’opération, notamment sa labellisation bas carbone ; ensuite, un porteur de projet local. Il est en effet peu probable qu’un agriculteur s’engage seul comme porteur de projet. Il le fera plutôt dans le cadre d’un groupe local accompagné par un conseiller (d’une coopérative, d’une chambre d’agriculture, d’un organisme de conseil, voire d’une start-up…). Cet accompagnateur va l’aider à définir son plan d’actions et faire les démarches administratives et de recueil de données. Par ailleurs, au sein du groupe, l’agriculteur pourra échanger avec ses collègues engagés, mutualiser des formations… Un organisme certificateur indépendant sera en outre chargé de valider la qualité du travail et des diagnostics.
Est-ce un bon calcul ?
Dans ce marché volontaire, le prix de la tonne de CO2 est théoriquement libre, fruit d’une négociation entre les vendeurs et les acheteurs. France Carbon Agri association (FCAA), structure créée par les Fédérations d’élevage (FNPL, FNB, FNO et FNEC) pour servir d’intermédiaire entre acheteurs et porteurs de projets, a lancé les premiers appels à projets en 2019 et 2020. Au total, par son intermédiaire, 1600 éleveurs sont déjà engagés (via 70 porteurs de projets) dans des démarches bas carbone labellisées ou en cours de labellisation par le ministère de la Transition écologique (condition préalable indispensable pour pouvoir être rémunérés).
FCAA a déjà commencé à commercialiser ces crédits carbone agricoles. Parmi les premiers acheteurs : Bordeaux Métropole, la Caisse des dépôts, GSF Propreté, Kering ou encore les Tanneries Haas. Elle prévoit de rémunérer les agriculteurs au tarif de 30 € par tonne d’équivalent CO2 économisée, soit entre 6000 et 12 000 euros par exploitation, avec 40 % de cette somme versés à mi-parcours et le solde à la fin.
Difficile de savoir si ce tarif sera rémunérateur, sachant que la démarche d’amélioration du bilan carbone peut générer des coûts (achats de matériels plus performants, d’arbres, de semences, temps de travail ou de formation, baisse de rendements), mais aussi des économies (optimisation des intrants, amélioration de l’alimentation des animaux…).
Toutefois, même si le gain financier n’est pas mirobolant, s’engager dans une démarche de réduction des GES peut être un bon calcul : c’est l’occasion de mettre en œuvre volontairement des pratiques qui risquent bien de devenir obligatoire à l’avenir, d’une manière ou d’une autre…